Essais de scolarisation des enfants nomades au Tchad
Essais de scolarisation des enfants nomades au Tchad :
bilan et perspectives
Dr. Sougnabé Pabamé, Expert en appui à la Plateforme Pastorale au Tchad au Ministère du Développement Pastoral et des Productions Animales M. Youssouf Abdelkrim, Directeur de la promotion en milieu nomade et zone insulaire au Ministère de
l’éducation de base au Tchad.
Résumé
Au Tchad, divers modèles de scolarisation des nomades ont déjà été proposés ou expérimentés. Les enfants nomades reçoivent d’abord l’éducation traditionnelle qui a lieu dans leurs familles et les campements. Cette éducation répond à une gamme de besoins, y compris l’acquis technique des activités dans le domaine de l’élevage, et l’apprentissage d’un métier par imitation. Le défi actuel de l’éducation ‘moderne’ pour les éleveurs est d’ajouter des matières qui facilitent l’entrée du jeune éleveur dans la société nationale tchadienne, sans empêcher son entrée dans la société nomade. Divers méthodes ont été essayées pour amener l’éducation chez les éleveurs nomades mais les résultats obtenus restent mitigés : les nomades refusaient d’envoyer leurs enfants à l’école dans les décennies 1960 et 1970, surtout par crainte de rompre les enfants scolarisés du monde pastoral. De nos jours, cette attitude a évolué même si des voix négatives envers l’école moderne existent encore, il est maintenant courant d’entendre certains pasteurs discuter l’école en termes positifs.
Mots clés : Scolarisation, milieu nomade, sédentarisation, mobilité pastorale, Tchad
Introduction
L’accès à l’éducation et à la formation des populations nomades pastorales reste un enjeu essentiel pour le développement des zones sahélo-sahariennes. Au Tchad, malgré de nombreuses initiatives prises par l’Etat et ses partenaires techniques et financiers, il n’y a pas eu de progrès significatif. Pourtant, le pays a pris des engagements internationaux envers l’éducation des enfants notamment des enfants nomades. L’état doit offrir un accès universel à l’éducation de base de manière à atteindre des objectifs spécifiques dans les Objectifs du Millénaire. Dans ce contexte, « universel » inclut les éleveurs et autres populations ayant des modes de vie différents du reste de la population tchadienne. Cette éducation doit être de qualité, et adaptée aux circonstances de vie de chaque apprenant. Certes, dans le domaine de la scolarisation des enfants nomades, le Tchad ne commence pas de zéro. Des nombreux programmes et projets existent, beaucoup d’améliorations sont faites mais les enfants en milieu nomade sont moins scolarisés que leurs concitoyens en milieu sédentaire. Cette communication tirée de l’étude réalisée en 2010 sur l’éducation en milieu pastoral (Swift et al., 2010) et l’étude réalisée par Dos Santos (2013), se propose d’examiner les tentatives de la scolarisation des enfants nomades au Tchad en dégageant leurs atouts et leurs limites en vue de d’offrir aux nomades une éducation de qualité, et adaptée aux circonstances de leur vie.
1- Tentatives de l’Etat tchadien en matière d’éducation en milieu nomade
Des initiatives ont été prises vers la fin des années 1940 par l’administration coloniale à l’intention des enfants des pasteurs en milieu nomade. A partir de 1945 des écoles nomades (ou écoles mobiles) ont été créées dans le Batha au Tchad central et en 1960 ces écoles ont connu une extension vers le Kanem (au centre ouest) et le Salamat. Les écoles mobiles sont des installations scolaires avec un mobilier et des matériels mobiles, avec une salle de classe de fortune – tente, ou ombre d’un arbre - et un personnel enseignant qui se déplace avec les familles des élèves dans leurs déplacements. Les cours sont dispensés à l’ombre d’un arbre ou sous une tente. L’enseignant reçoit en principe une prime additionnelle au salaire. Pour que l’école mobile fonctionne bien, les familles des écoliers ne doivent pas quitter leur campement (Madana, 2000). Ces écoles mobiles avaient l’avantage de permettre aux enfants élèves de rester avec leur famille pendant la période quand les campements étaient fixes et de suivre l’enseignement en même temps qu’ils apprenaient le métier d’éleveur. Mais le succès de ces écoles dépendaient du fait qu’elles ne se déplacent pas loin : la plus mobile de ces écoles, et le seul qui reste, parcourt maintenant pas plus de 100 à 150 km dans l’année.
D’autres types d’école ont été testés par la suite :
• Les écoles fixes sont créées dans les villages et grandes agglomérations et sont dotées d’internats où logent les enfants nomades. Ces écoles sont créées à Mao au Kanem et Assinet dans le Batha pour accueillir les enfants des nomades. Dans ces internats les repas étaient servis et il y avait des petits équipements pour assurer la santé des élèves. Souvent, en plus des matières académiques, des marabouts sont recrutés pour dispenser l’enseignement coranique dans l’après-midi.
• Ecoles relais, sur les routes de transhumance qui sont ouvertes pendant la période des déplacements.
• En plus de ces écoles de type « moderne », les écoles coraniques fonctionnent en parallèle au système scolaire étatique, et sont entièrement prise en charge par les parents d’élèves. Le gouvernement reconnaît l’école coranique comme une forme d’éducation de base non formelle. Des marabouts accompagnent souvent les campements en déplacement, et enseignent le coran aux enfants. Des essais d’élargissement des matières enseignées par ces maîtres, par l’insertion de sujets tels que le calcul, la géographie ou l’histoire, n’ont eu en général pas beaucoup de succès.
2 -Expériences récentes de scolarisation en milieu nomade
Expérience de la coopération Suisse
• La Coopération Suisse au Développement a créé au cours de l’année scolaire 1994/1995 des écoles nomades bâties sur de nouvelles bases, à savoir :
• Scolarisation des enfants nomades dans des écoles fixes en milieu nomade ;
• Formation des maîtres communautaires à partir de 1994, et de ‘néophytes’ (personnes analphabètes issues de la communauté et résidentes dans le village, recrutées et formées à l’enseignement) à partir de 1996 ;
• Conception et production des programmes d’éducation et de manuels ;
• Construction de salles de classes, forage de puits, vaccination des enfants ;
• Formation technique dans le domaine de l’élevage dans les centres de formation des membres de la communauté nomade. Cependant ces actions ont soulevé un certain nombre de problèmes :
• Manque de compréhension de la population nomade vivant en petites communautés ethniques isolées;
• L’irrégularité dans la prise en charge des maîtres communautaires par les parents nomades;
• La rareté des enseignants issus des communautés nomades ;
• La manque de pâturages, rendant indispensable la mobilité et donc l’absence de l’école;
Les actions suisses dans le domaine de l’éducation souffrent peut-être du fait qu’elles sont conçues dans une optique de sédentarisation des populations nomades cibles. L’expérience dans d’autres pays est que la mobilité des éleveurs nomades est une partie essentielle de leur stratégie de production et si la fréquentation de l’école dépend d’une sédentarisation des familles et des enfants, les parents vont dans la plupart des cas refuser l’école pour poursuivre leur stratégie de production et la mobilité. Ceci n’a rien à faire avec un refus de la modernité, mais est base sur une appréciation des coûts et avantages au long terme de l’éducation dite moderne pour un éleveur.
Expérience de l’UNICEF
Le gouvernement tchadien s’est également engagé avec l’Unicef en 2003 pour une expérience de scolarisation d’enfants nomades. Le projet a démarré avec un appui à des écoles fixes en milieu
nomade dans les sous-préfectures de Mani, Moussoro, Assinet et Djedda. Le projet visait l’enseignement primaire dans une population de 10,000 enfants dont la moitié serait des filles, et
l’alphabétisation de 1,500 parent nomade. Le projet proposait d’offrir des services sociaux de base en plus de l’éducation (surtout la santé humaine et animale). Les résultats physiques obtenus jusqu'à 2009-2010 sont:
• 237 écoles fixes en milieu nomade, avec un effectif de près de 20,000 élèves, dont 43 % de filles ;
• 38 salles de classes réfectionnées ;
• 138 maîtres communautaires certifiés ;
• 128 forages manuels et trois stations avec installation de panneaux solaires.
Les résultats en termes de scolarisation ne sont pas connus. L’objectif relatif à l’alphabétisation n’a pas été réalisé, et le suivi dans les écoles était faible; les enseignants étaient peu motivés en l’absence de prime et d’indemnité. Quoique le taux d’inscription des filles fût bon, leur taux de maintien pour finir le cycle primaire était faible.
Expérience de l’AFD
Enfin, le gouvernement tchadien, avec le concours de l’Agence Française pour le Développement (AFD), s’est engagé dans l’éducation des nomades, et surtout l’amélioration de l’accès et du maintien à l’école des enfants nomades pour leur garantir une éducation. Le recrutement et la formation professionnelle des maîtres ont été identifiés comme une activité d’urgence. Un Centre de Formation des Instituteurs Nomades (CFIN) équipé a été créé à Moussoro et les 30 premiers instituteurs sont actuellement en formation. Des problèmes d’indemnités et de primes d’éloignement et de cherté de vie doivent être résolus.
3 -Les leçons tirées de ces différentes approches d’éducation en milieu nomade
Malgré les différentes tentatives de scolarisation des enfants en milieu nomades aussi bien par l’Etat tchadien que par ses Partenaires Techniques et Financiers, les éleveurs, surtout les nomades, ne participent presque pas toujours à cette scolarisation. Plusieurs contraintes ont impacté négativement l'accès scolaire des enfants en milieu nomade. D’une manière générale, deux approches
ont été essayées au Tchad pour amener l’éducation chez les éleveurs nomades. Mais ces approches présentent quelques limites.
Approche basée sur les écoles fixes
L’approche sédentaire se fonde sur le fait que certains éleveurs sont stationnés pendant six mois de l’année autour des puits. Ce modèle se proposé d’appuyer les processus de sédentarisation des
nomades autour des points d’eau afin de faciliter la fourniture de services d’éducation et de santé animale et humaine. Dans ce modèle, la mobilité des éleveurs est conçue en termes négatifs et
l’objectif principal des activités proposées est de réduire la mobilité comme condition essentielle de la fourniture des services tels que l’éducation. Cette pratique éducative pour les enfants nomades a souvent pour résultat un choix défavorable entre ces deux catégories d’acquis résultant de la séparation obligée de l’écolier de sa famille, de sa culture et de son environnement sociale. La transmission des savoir-faire nécessaires au métier d’éleveur transhumant ainsi que des valeurs culturelles et religieuses des sociétés pastorales occupe une place importante et nécessite une présence quotidienne des enfants auprès du groupe. Les parents peuvent donc se montrer réticents face à une offre d’éducation qui n’inclut pas ces savoirs ou qui les rejette et la percevoir comme facteur d’acculturation (Dos-Santos, 2013).
Approche basée sur les écoles mobiles
Dans l’approche des écoles mobiles, l’enseignant se déplace avec les nomades à dos de chameau ou de cheval, muni de tous les équipements pédagogiques. Les cours sont dispensés à l’ombre d’un arbre ou sous une tente. Ce modèle fonctionne bien et a permis de scolariser quelques enfants nomades. Cependant, le problème qui se pose avec des écoles mobiles, est celui des enseignants. Ce genre d’école a besoin d’être tenue par des enseignants issus de la même société que les pasteurs nomades. Sinon il lui sera très difficile de vivre et de travailler pendant de longues périodes dans ces conditions. Il y a peu de gens qui ont ces qualités en milieu nomades car tous les jeunes qui ont fait l’école sont partis en ville ; aucun n’est revenu pour enseigner aux enfants de sa communauté.
4- Orientations pour lever les contraintes liées à l’éducation en milieu nomade
Les écoles nomades ont tendance à devenir de moins en moins mobiles. Les grands nomades ont toujours peu ou pas d’accès à l’école dans des conditions qui leur sont favorables, c'est-à-dire ou les enfants suivent une éducation formelle sans être éloignés de la vie économique, sociale et culturelle de leurs parents et amis. Les améliorations sont donc souhaitables aussi bien pour le type d’école que le contenu d’enseignement. Nous convenons avec Dos Santos (2013) que les différents acteurs concernés par cette problématique (acteurs institutionnels, autorités traditionnelles, représentants de nomades et de parents d’élèves) doivent pouvoir travailler ensemble afin de mettre en place une offre qui réponde à la fois aux attentes des populations bénéficiaires sans remettre en cause leur mode de vie, et qui puisse s’inscrire dans une cadre national et soutenable à long terme . Pour cela, l’Etat et ses
Partenaires Techniques et financiers doivent orienter leurs efforts vers :
Les infrastructures d’accueil
La mobilité des populations et des animaux semble être l’une des bases du fondement du nomadisme la plus importante. Les projets de scolarisation ou de formation dans ce milieu doivent tenir compte de cette réalité. Les infrastructures proposées doivent être mobiles car les installations fixes demandent qu’une partie du groupe ou le groupe entier se sédentarise une partie de l’année ou définitivement, ce qui peut conduire à un rejet du modèle éducatif par les populations nomades. L’offre d’enseignement Afin de mieux répondre au mode de vie et aux attentes éducatives des populations nomades pastorales, de nombreuses adaptations doivent être entreprises notamment le temps scolaire (volume horaire et calendrier d’enseignement annuels spécifiques, cycles d’enseignement réduits), de la langue d’enseignement utilisée (langue maternelle uniquement, langue(s) nationale(s) d’enseignement, enseignement bilingue) et du programme d’enseignement (programme national classique ou adapté, programme spécifique). L’utilisation de la langue maternelle comme vecteur d’enseignement et la mise en place d’un programme d’éducation incluant les connaissances et compétences enseignées au sein des communautés pastorales semblent être déterminantes dans l’adhésion des populations au modèle éducatif proposé, car perçues comme une reconnaissance de la culture pastorale.
Le choix des enseignants
Dans la réussite de l’scolarisation en milieu nomade, le choix des enseignants est déterminant. En effet, enseigner en milieu nomade demande une adaptation et une reconnaissance du mode de vie et de la culture des sociétés pastorales. Or, ces critères ne sont rarement pris en compte par les administrations lors des décisions d’affectation des enseignants. Pour assurer une meilleure intégration des enseignants, il faudra recruter ces enseignants au sein de la communauté pastorale, ce qui implique la mise en place d’une formation spécifique et continue de ces enseignants (alphabétisation pour les néophytes, formation à l’enseignement multigrade, formation annuelle pour chaque cycle d’enseignement).
Conclusion
Dans le domaine de la scolarisation en milieu nomade, la communication montre qu’il y a eu peu de progrès. Les éleveurs nomades sont très loin derrière les autres populations rurales en matière d’accès aux services sociaux de base notamment l’éducation formelle (Kessely, 2013). Il est urgent de rectifier cet état de choses, pour le compte des nomades tchadiens mais aussi pour le compte du gouvernement tchadien lui-même. Un pays dans lequel une partie importante de la population est privée des avantages du développement économique et social et se voient tomber loin derrière ses concitoyens est un pays qui risque de perdre toute unité et cohésion économique et sociale. Un programme d’éducation pour les enfants nomades doit avoir pour vision la création d’un système d’éducation qui rend disponible à tous les enfants une éducation formelle de qualité, sans miner la position économique et sociale de ces enfants dans leur monde pastoral. Les enfants (et leurs parents) ne doivent plus être obligé de choisir entre l’élevage nomade et l’éducation. Cette éducation n’intéresse pas uniquement les enfants. Il y a beaucoup d’adultes qui sont également désireux d’acquérir les mêmes connaissances que leurs enfants. Ceci rend possible la création d’un programme d’enseignement familiale ou tous les membres d’une famille apprennent en même temps, suivant un curriculum parallèle mais adapté aux apprenants.
Bibliographie
Dos Santos S., 2013. Education et formation des populations nomades. Problématiques, bilan et perspectives. Actes du Colloque : Elevage Pastoral, une contribution durable au développement et à la sécurité des espaces saharo-sahéliens. Du 27-29 mai 2013, Ndjamena-Tchad, 162 p.
Kessely H., 2013. Les interventions intersectorielles en santé humaine et animale au profit de nomades du Tchad: expériences de 2000 à 2013. Actes du Colloque : Elevage Pastoral, une contribution durable au développement et à la sécurité des espaces saharo-sahéliens. Du 27-29 mai
2013, Ndjamena-Tchad, 162 p. Madana N., 2000. Communication présentée au séminaire sous régional sur l’éducation de base en milieu nomade de l’Afrique Sahélo-Saharienne. 14-17 février. N’Djamena: Ministère de l’Education nationale et Unicef.
Swift J., Abdelkerim Y., Rahamat Saleh M., Ibrahim H.O., Al Zarha Icham F., 2010. Education en milieu pastoral. Rapport d’étude, République du Tchad - Agence française de développement, 39 p
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